La Plage est le nom de la boîte de nuit d'une petite ville en bord de Loire. C'est là qu'Arthur, dès l'adolescence et pendant plus de vingt ans, se rend avec frénésie. Dans ce lieu hors du temps, loin des relations sociales ordinaires, il parvient curieusement à se sentir proche des autres, quand partout ailleurs sa vie n'est que malaise et balbutiements. Sur la piste de danse, il grandit au gré des rencontres - amours fugaces, amitiés violentes, modèles masculins écrasants. Au fil des ans, il se cherche une place dans la foule, une façon d'exister. Jusqu'où le mènera cette plongée dans la nuit ? De son écriture précise, Victor Jestin nous conduit au plus près de l'intimité d'un homme qui lutte avec sa solitude, dans l'espoir obsédant d'aimer.
Comment construire sa vie, écrire une narration quand les liens avec les siens ont été rompus et que l'histoire a été effacée ? Celle de Consolée débute en 1954 dans un petit village au Rwanda. De père belge et de mère rwandaise, elle passe les premières années de sa vie auprès de cette dernière, jusqu'à ce que les autorités coloniales décident de placer les enfants métis dans des institutions. Ces enfants seront éduqués à l'occidental et rejoindront quelques années plus tard le continent européen, rompant à tout jamais avec leur pays natal, leur famille et leur histoire. Ce récit cruel en rappelle d'autres qui émergent maintenant grâce au travail minutieux des historiens, des descendants et des écrivains. Quand le personnage de Consolée apparaît dans le roman, cela fait très longtemps qu'il porte un tout autre prénom, Astrida. Une jeune fille adoptée par une famille bruxelloise, sans passé, sans langue maternelle, sans souvenirs et qui devra construire sa vie avec cette nouvelle identité. Astrida n'est plus une jeune fille quand débute ce récit, la langue dans laquelle elle s'exprime désormais n'est plus celle de son pays d'adoption, elle l'a oubliée. Ce qui rejaillit en elle, justement, c'est ce passé enfoui dans les ruines de sa mémoire et qu'une autre femme va aller quérir, s'interrogeant elle même sur ce qui la constitue. Un roman ambitieux, extrêmement émouvant et lucide sur les conséquences du déracinement et de l'absence de transmission. Ces questions s'invitent également dans le récit à propos des Françaises et Français de seconde et troisième générations.
Ariane est une jeune femme en difficulté sociale et personnelle. Elle préfère rester cloîtrée chez elle, jusqu’au jour où Sandrine, sa meilleure amie, l’invite à ses fiançailles. Pour l’aider à se repérer et lui permettre d’arriver à bon port, Sandrine partage sa localisation avec elle sur son téléphone. Guidée par le point rouge qui représente Sandrine dans l’espace du GPS, Ariane se rend donc aux fiançailles. Mais le lendemain, Sandrine a disparu. Elle ne répond plus au téléphone. Aucune trace d’elle. Sauf ce point GPS, qui continue d’avancer. Et qu’Ariane ne va plus quitter des yeux. Le GPS lui procure un sentiment de proximité avec Sandrine. Comme si elles partageaient un secret. Jusqu’à la découverte d’un cadavre calciné au bord d’un lac où le point GPS de Sandrine s’est rendu. S’agit-il de son cadavre ? Mais le point bouge encore. Écrit comme un thriller, ce roman, sur l’amitié et la mort, sur les fragilités sociales et psychiques, traverse les illusions du deuil à l’aune de nos addictions numériques.
« Le 18 août 2021, j’ai passé la nuit au Musée Anne Frank, dans l’Annexe. Anne Frank, que tout le monde connaît tellement qu’il n’en sait pas grand-chose. Comment l’appeler, son célèbre journal, que tous les écoliers ont lu et dont aucun adulte ne se souvient vraiment.
Est-ce un témoignage, un testament, une œuvre ?
Celle d’une jeune fille, qui n’aura pour tout voyage qu’un escalier à monter et à descendre, moins d’une quarantaine de mètres carrés à arpenter, sept cent soixante jours durant. La nuit, je l’imaginais semblable à un recueillement, à un silence. J’imaginais la nuit propice à accueillir l’absence d’Anne Frank. Mais je me suis trompée. La nuit s’est habitée, éclairée de reflets ; au cœur de l’Annexe, une urgence se tenait tapie encore, à retrouver. » L. L.
V13 : Chroniques judiciaires. C'est le nom de code du procès des attentats terroristes qui, le vendredi 13 novembre 2015, ont causé 130 morts au Stade de France, sur des terrasses de l'est parisien, dans la salle de concert du Bataclan.14 accusés, 1800 parties civiles, 350 avocats, un dossier haut de 53 mètres : ce procès hors norme a duré neuf mois, de septembre 2021 à juin 2022. Emmanuel Carrère l'a suivi, du premier au dernier jour, pour l'hebdomadaire L'Obs.Expérience éprouvante, souvent bouleversante, fascinante même quand elle était ennuyeuse. Une traversée portée par une magistrale narration et un souci permanent de transmettre la parole de toutes celles et ceux qui furent interrogé.e.s.
Au seuil de la mort, Leonard Fife, célèbre documentariste, accepte une interview filmée que veut réaliser l’un de ses disciples, Malcolm. Fife a exigé le noir complet sur le plateau ainsi que la présence constante de sa femme, Emma, pour écouter ce qu’il a à dire, loin des attentes de Malcolm. Après une vie de mensonges, Fife entend lever le voile sur ses secrets mais, sous l’effet de l’aggravation rapide de son état, sa confession ne ressemble pas à ce que lui-même avait prévu. Puissant, écorché, bouleversant, ce roman testamentaire sur les formes mouvantes de la mémoire pose la question de ce qui subsiste – de soi, des autres – lorsqu’on a passé sa vie à se dérober.
Elle a passé son enfance et son adolescence dans une ville ouvrière à la frontière allemande. Sa mère a eu dix enfants. Six d'un Juif autrichien et quatre d'un Algérien. Elle est la fille de l'Algérien mais porte le nom du Juif. Vive, intelligente, rebelle, rien ne l'arrête. Ni la pauvreté, ni la triste médiocrité des vies dévastées qui l'entourent, ni les événements horribles qu'elle doit affronter. Elle s'accroche à sa fratrie, aux rencontres heureuses, à cette chaleur que diffuse la solidarité des classes populaires, et surtout à sa mère, cette femme extraordinaire dotée d'un étonnant courage et d'une sagesse étrange, à qui elle voue une véritable vénération.L'auteure nous livre ici le récit abrupt et sans concession d'une jeune vie saisissante, plongée dans la France des Trente Glorieuses.
Un jour d’hiver, le jeune Vadim, petit Parisien de douze ans, gamin des Batignolles, inquiet et asthmatique, est conduit par le train vers un air plus pur. Il ignore tout des gens qui vont l’héberger, quelque part dans un repli des hautes montagnes. Il est transi de fatigue quand, au sortir du wagon, puis d’un tunnel – l’avalanche a bloqué la voie –, il foule la neige épaisse et pesante, met ses pas dans ceux d’un inconnu. Avance vers un endroit dont il ne sait rien. Ouvre bientôt les yeux sur un décor qui le sidère, archipel de sommets entre brume et nuages, hameau blotti sur un replat. Immensité enivrante qui le rend minuscule. Là, tout va commencer, il faudra apprendre : surmonter la séparation, passer de la stupeur à l’apprivoisement, de l’éblouissement à la connaissance. Confier sa vie à d’autres, à ceux qui l’accueillent et qui savent ce qui doit advenir. L’île haute est le récit initiatique d’une absolue première fois, d’une découverte impensable : somptueux roman-paysage qui emplit le regard jusqu’à l’irradier d’humilité et d’humanité. Images et perceptions qui nous traversent comme autant d’émotions, nous élèvent vers ces ailleurs bouleversants, ces montagnes dont la démesure change et libère les hommes – et sauve un enfant.
"S’il y avait un message diffusé dans des haut-parleurs avant l’entrée en territoire de fiction, il ressemblerait, curieusement, à celui des assurances ou des banques jointes par téléphone : Patientez quelques instants, vous allez être mise en relation… Ce que je cherche, sans doute, depuis le début, en tant que lectrice et en tant qu’écrivaine, ce sont des récits qui me permettent d’entrer en relation avec des êtres qui me sont inconnus et me deviendront proches, tout comme des récits qui leur permettent – à l’intérieur de la fiction – des relations riches, complexes et fragiles."
S’il ne s’agit plus d’expliquer le monde – qui le pourrait ? – il semble urgent de le multiplier, c’est-à-dire de faire rentrer dans le roman, aux côtés des héros et héroïnes bien connus, tous ceux qui n’ont pas encore été suffisamment racontés. Renouveler les formes, habiter de nouveaux personnages pour, in fine, lire et écrire autrement. Affirmer qu’il manque à la fiction toute une moitié du monde qu’il resterait encore à représenter, c’est dire aussi qu’il lui reste cette même moitié du monde à explorer.
"Et ça me paraît le plus beau des programmes" écrit Alice Zeniter dans ce livre hautement stimulant, nourri d’expériences, de lectures, de réflexions et d’idées sur nos manières de lire et d’écrire. Avec autant de gaité que de sérieux, Alice Zeniter ouvre en grand les fenêtres de la fiction à venir.
Dans un menu enfant, on trouve un burger bien emballé, des frites, une boisson, des sauces, un jouet, le rêve. Et puis, quelques années plus tard, on prépare les commandes au drive, on passe le chiffon sur les tables, on obéit aux manageurs : on travaille au fastfood. En deux récits alternés, la narratrice d'En salle raconte cet écart. D'un côté, une enfance marquée par la figure d'un père ouvrier. De l'autre, ses vingt ans dans un fastfood, où elle rencontre la répétition des gestes, le corps mis à l'épreuve, le vide, l'aliénation. Une voix qui n'est pas sans rappeler celle de Joseph Ponthus, dans ce premier roman qui raconte l'alliénation moderne du travail dans la restauration rapide.
Ma famille maternelle a quitté la Roumanie communiste en 1961. On pourrait la dire "immigrée" ou "réfugiée". Mais ce serait ignorer la vérité sur son départ d’un pays dont nul n’était censé pouvoir s’échapper. Ma mère, ma tante, mes grands-parents et mon arrière-grand-mère ont été "exportés". Tels des marchandises, ils ont été évalués, monnayés, vendus à l’étranger.
Comment, en plein cœur de l’Europe, des êtres humains ont-ils pu faire l’objet d’un tel trafic ? Les archives des services secrets roumains révèlent l’innommable : la situation de ceux que le régime communiste ne nommait pas et que, dans ma famille, on ne nommait plus, les juifs.
Moi qui suis née en France, j’ai voulu retourner de l’autre côté du rideau de fer. Comprendre qui nous étions, reconstituer les souvenirs d’une dynastie prestigieuse, la féroce déchéance de membres influents du Parti, le rôle d’un obscur passeur, les brûlures d’un exil forcé. Combler les blancs laissés par mes grands-parents et par un pays tout entier face à son passé.