"Mobylette" Frédéric Ploussard -éd Héloïse d'Ormesson

Mobylette est un roman déjanté et cruellement drôle qui dresse le portrait décapant d'un trentenaire à la dérive dans un univers qui ne l'est pas moins. Tour à tour désopilante, survoltée et hilarante, impossible de résister à cette aventure à mille à l'heure entre les Vosges et la Moselle. À quinze ans, Dominique se voyait déjà promener ses presque deux mètres à travers la campagne vosgienne sur une Peugeot 103 orange. Il a fait beaucoup d'efforts pour l'avoir à Noël et en finir ainsi avec la série des Noël pourris. Il y a cru, il a été très déçu. La déception est d'ailleurs une constante dans la vie familiale chaotique de Dom. La déception entre autres choses. De là à en déduire que la suite des événements en découle, il n'y a qu'un pas. Quelques pas pour être précis. Educateur spécialisé en foyer pour ados, il excelle cependant en tenter de réparer ces vies abîmés ou au moins à donner sans compter au mépris des contraintes légales. Sa vie de jeune père n'est guère épanouissante, pas plus que sa vie maritale plutôt en berne. Une séance de ciné qui vire au pugilat. Une baignade mouvementée. Des retrouvailles du troisième type dans les bois. Et deux sœurs aussi féroces qu'attachantes. Accrochez-vous. C'est un roman qui déménage mais qui attache et attrape le lecteur dès les premières lignes.


"Feu" Maria Pourchet - éd Fayard

Laure, prof d’Université, est mariée et mère de deux filles. De Véra, l’aînée, qui organise des mouvements d’insurrection au lycée, Laure envie l’incandescence et la rage. Elle qui, à 40 ans, regrette parfois d’être la somme de la patience et des compromis. Clément, célibataire, 50 ans, court le matin et parle à son chien le soir. Entre les deux il s’ennuie dans la finance, au sommet d’une tour vitrée, lassé de la vue qu’elle offre presque autant que de YouPorn. Laure monte sans passion des colloques en Histoire contemporaine. Clément anticipe les mouvements des marchés, déplorant que les crises n’arrivent jamais vraiment, que le pire ne soit qu’une promesse perpétuellement reconduite. De la vie, l’une attend la surprise. L’autre, toute capacité d’illusion anéantie, attend qu’elle finisse, fatigué d’être un homme dans un monde où seules les tours de la Défense sont légitimement phalliques. Bref, il serait bon que leur arrive quelque chose. Ils vont être l’un pour l’autre un choc nécessaire. Saisis par la passion et ses menaces, ils tentent d’abord de se débarrasser l’un de l’autre en assouvissant le désir, naïvement convaincus qu’il se dompte. Nourrissant malgré eux un espoir qui les effraie et les consume, ils iront loin dans l’incendie. Dans l’ombre, quelque chose les surveille : la jeunesse sans nuance et sans pitié de Véra. Au gré d’un roman sur la passion, Feu photographie une époque. Où les hommes ne sachant plus quelle représentation d’eux-mêmes habiter, pourraient renoncer. Où les femmes pourraient ne pas se remettre de l’incessant combat qu’elles doivent mener pour être mieux aimées. Où les enfants, nés débiteurs, s’organisent déjà pour ne pas rembourser. Alternant les points de vue des deux personnages dans une langue nerveuse et acérée, Maria Pourchet nous offre un roman vif, puissant et drôle sur l’amour, cette affaire effroyablement plus sérieuse et plus dangereuse qu’on ne le croit.

"Hors gel" Emmanuelle Salasc - Ed POL

Dans une vallée d’altitude, pendant l’été 2056, une sirène sonne, réactivant une peur ancienne. Au-dessus du village, dans le ventre du glacier, une poche d’eau sous pression menace de se rompre. Peu de temps auparavant, Clémence, disparue depuis des années, a appelé sa soeur jumelle, Lucie, pour lui demander de la cacher dans la grange familiale isolée qu’elle habite, juste en dessous du glacier. "Hors gel", c’est le roman de ces deux peurs : la peur ancestrale et collective de la catastrophe que pourrait provoquer la rupture du glacier, et la peur plus intime, familiale, de Lucie vis-à-vis de sa soeur jumelle, Clémence, revenue après trois décennies de disparition, dans l’espoir, dit-elle, d’échapper à un réseau de prostitution et de trafiquants de drogue, dont on n’est pas sûr qu’il existe réellement. La peur de la lave torrentielle s’appuie sur le souvenir d’une catastrophe qui, il y a plus de 150 ans, avait ravagé la vallée. La peur de la soeur est aussi ancrée depuis longtemps dans la mémoire profonde de Lucie qui n’a de cesse d’essayer de comprendre cette soeur qui la malmène et l’obsède. L’extrême sensibilité de Clémence a fait d’elle une enfant, puis une femme « invivable ». Elle est violente, toxicomane, délinquante, fugueuse, asociale, psychotique. Leur mère joue aussi un rôle dans cette histoire. Sénile, elle est là sans être là, et a, semble-t-il, oublié qu’elle a une deuxième fille, née quelques heures après la première, et qu’elle a tout tenté pour essayer d’endiguer sa violence et sa souffrance. En vain. Clémence n’a qu’une idée en tête, alors : se sauver au risque de devoir affronter le cataclysme. Hors gel est un roman de légère anticipation, au coeur d’un drame familial déchirant, et dans un pays soumis à une stricte écologie politique, où la nature, après des années de consommation pendant lesquelles elle est devenue un produit, est désormais déifiée, ultra-protégée, et en apparence contrôlée. En apparence seulement.

"Blizzard" Marie Vingtras - éd de l'Olivier

Le blizzard fait rage dans le Grand Nord en Alaska. Au coeur de la tempête, un jeune garçon disparaît. Il n'aura fallu que quelques secondes, le temps de refaire ses lacets, pour que Bess lâche la main de l'enfant et le perde de vue. Elle se lance à sa recherche, suivie de près par les rares habitants de ce bout du monde. Au fil des heures passées à tâtonner dans le blizzard, dans cette course folle contre la montre pour tenter de retrouver le petit, se dévoile peu à peu la vérité de chacun des personnages. Et c'est paradoxalement dans la tempête, la neige et le brouillard, que le passé des uns et des autres refait surface. Comment Benedict s'est-il retrouvé à accueillir cet enfant de dix ans qui n'est pas le sien ? Qui est Bess, quelles souffrances cache-t-elle ? Connait-on vraiment Cole, ce vieil ami de la famille depuis deux générations, qui noie ses démons dans l'alcool ? Et le vieux Freeman, vétéran du Vietnam, qu'est-il venu chercher dans ce bout du monde battu par des vents glacés ? Rythmé comme un thriller, "Blizzard" creuse avec sensibilité l'histoire intime de ses personnages, leurs secrets, leurs douleurs. Dans une construction chorale, la romancière alterne en chapitres courts les voix intérieures des différents protagonistes, décrivant la violence des sentiments qui les traversent, à la hauteur des éléments qui se déchaînent. L'écriture, fluide, orale, "à l'américaine", colle parfaitement à l'esprit et à l'atmosphère de ces grands espaces, cette terre rude où dans des communautés humaines à l'écart de tout, se cristallisent en profondeur les drames tus du passé. Avec ce huis-clos des grands espaces, Marie Vingtras fait une première rentrée littéraire remarquée, et remarquable.

   

"L'éternel fiancé " Agnès Desarthe - éd de l'Olivier

A quoi ressemble une vie ? C'est avec une simplicité désarmante et de nombreux pas de côté qu'Agnès Desarthe tente de répondre à cette question. Elle explore les premiers territoires de l'enfance, quand l'univers connu s'arrête aux portes de l'appartement, que la confrontation avec l'extérieur n'a pas encore eu lieu, et que tout ce qui se vit au foyer semble naturellement établi. Arrivent ensuite les appels d'air de l'adolescence, les regards plus critiques sur l'ordre des choses vues, et tout à coup la déflagration, la mère si discrète, si effacée quitte le foyer pour rejoindre l'homme qu'elle aime, oubliant presque ceux avec qui elle avait vécu auparavant. La narratrice, elle n'a pas voulu répondre à la première déclaration d'amour que lui fit, à quatre ans, un camarade de classe. Le regrette-t'elle ? Comprend-elle tardivement ce qui lui a échappé ? Elle restera cependant toute sa vie attentive à ce premier amoureux, cet éternel fiancé qui réapparaîtra à peu près tous les dix ans et la renverra inconsciemment à ce qu'elle n'avait pas voulu saisir, ce cadeau précoce de la vie. Le roman se construit sur ce fil conducteur qui n'est pas forcément empreint de regret ou de nostalgie mais qui permet de mettre en présence au sein d'une même famille et d'un cercle proche les événements par lesquels se construisent nos vies et que l'écriture permet de tracer. Un récit vibrant animé d'une extraordinaire vitalité alternant chutes et rebonds, effondrements et triomphes, mélancolie et exaltation. Le style si singulier de cette auteure dont le regard et la sensibilité nous enchantent.

"Wonder Landes" Alexandre Labruffe - éd Verticales

De retour dans la forêt des Landes suite à l'incarcération de son frère aîné, rattrapé par ses souvenirs d'enfance, harcelé par les SMS & SOS du détenu, bouleversé par l'agonie du père, cerné par les huissiers, Alexandre Labruffe, auteur et narrateur, oscille entre stupeur et parano, non-dits et délires. Parti depuis plus de quinze ans en Asie où il était attaché culturel à l'Alliance française en Chine et en Corée, il ne se doutait pas qu'il devrait revenir en urgence au chevet d'une famille dont il avait pris soin de s'éloigner. Le retour dans les Landes, retour au source du dysfonctionnement familial, le met dos au mur, même s'il résiste à comprendre ce qui s'est joué dans son enfance. Nous l'avions découvert dans deux très courts récits détonants « Chronique d'une station service » et « Un hiver à Wuhan » où il excellait dans la narration brève, incisive et comique. Dans ce récit intime, paranoïaque, burlesque et décapant, il pratique une forme d'autodérision noire qui n'épargne aucun de ces personnages, il brises le miroir, parle à ses fantômes et se confronte à son histoire sans pathos et avec énormément d'humour.

"Voyage dans l'Est" Christine Angot - éd Flammarion

Christine Angot entame ce nouveau récit de l’inceste par la première rencontre avec son père qui se déroule à Strasbourg. L’écriture est minutieuse, précise presque clinique comme une enquête policière car elle compte sur la géographie des lieux, les détails des intérieurs, pour lui redonner la mémoire de ce qui s’est dit et accompli. Elle a treize ans la première fois qu’elle rencontre ce père qui ne l’a pas reconnue et qui n’a jamais cherché à la rencontrer. Il a fondé une nouvelle famille, elle vit seule avec sa mère. Elle se retrouve presque immédiatement face à un homme qui ne considère, ni son jeune âge, ni leurs liens de filiation comme un obstacle à la réalisation de ses désirs sexuels. Le récit est cru, direct, nous sommes avec eux dans les chambres où il lui donne rendez-vous, elle décrit avec nettement le piège qui se referme sur elle alors qu’elle implore des rapports normaux de père à fille, obsédée par la peur de lui déplaire et de le perdre une nouvelle fois. Elle cherche les mots qui disent le mieux ce qu’elle ressentait à cette époque, elle cherche à nommer ce qui a pu se diluer avec le temps, la réalité de ce présent là qu’elle a cherché à enfouir sans succès, elle le scrute dans l’écriture afin de refaire exister ce qui a été. Le lecteur sera donc le témoin, celui qui entend, regarde les mécanismes de la séduction et de la manipulation à l’œuvre. Trop tard pour s’offusquer du silence, du consentement de ceux qui savaient et qui ne l’ont pas aidée à se sauver. Sinistre banalité que l’on retrouve dans tous les récits récents abordant les relations non consenties entre adultes et mineur(e)s.

"La volonté" Marc Dugain - éd Gallimard

Dans ce récit très personnel, Marc Dugain retrace le destin de son père, cet homme du XXème siècle à qui il doit beaucoup, en dépit de la difficulté de trouver sa place de fils à ses côtés, mais dont l’inépuisable volonté n’a cessé de l’inspirer. Ce récit poignant commence dans les couloirs d’un service de soins palliatifs quelques jours avant son décès, l’auteur est alors âgé d’une trentaine d’années, mais ce récit a seulement pris corps l’année dernière, sur les côtes bretonnes, à l’heure des confinements. C’est aussi en Bretagne que débute l’histoire de ce père, né entre terre et mer, sur un sol trop pauvre pour nourrir la famille et les récits de campagnes de pêche en Islande. C’est aussi vers le large que se tournent les ambitions de ce très jeune homme dans les années quarante. Il voit toutefois ses rêves s’envoler quand il contracte la poliomyélite et perd l’usage de ses deux jambes. Brillant élève et d’une puissance morale et physique hors du commun, il déjouera tous les pronostics, subira de multiples opérations et retrouvera son autonomie. Sa détermination en étonnera plus d’ un, et c’est accompagné d’une femme de la même trempe qu’il partira conduire des missions scientifiques en Nouvelle Calédonie et en Afrique. Au Sénégal notamment où naquit l’auteur. Avec l’histoire de sa famille, Marc Dugain raconte l’histoire sociale et politique des trente glorieuses, le culte du progrès, des sciences, la fin de l’empire colonial, les premiers essais nucléaires … et aussi l’essoufflement idéologique d’une nation .

"La félicité du loup" Paolo Cognetti - éd Stock

L’écrivain milanais retrouve ses territoires de prédilection, la montagne de haute altitude et ceux qui l’habitent, humains et animaux. Fausto la quarantaine, décide comme le narrateur des « Huit montagnes » de quitter Milan dans l’espoir de recommencer une nouvelle vie sur les versants qu’il découvrit enfant avec son père, les villages d’altitude et les sommets dépassant les 3000. Il devient saisonnier dans un restaurant à Fontana Fredda, petite station de ski condamnée à court terme par le faible niveau d’enneigement. Ce point de départ narratif devient le centre du récit où se croisent différents personnages qui nous parlent, en de courts chapitres, de la vie dans ces lieux demeurés très ruraux et très sauvages mais dans lesquels converge aussi tout un tourisme international amoureux d’alpinisme et de sommets. Une réflexion sur les paysages, le goût de l’aventure, les choix qui donnent un nouveau sens à l’existence. Des sujets chers à cet auteur d’une singulière sensibilité qui décrit la vie dans ces montagnes que l’on soit, éleveur, bûcheron, guide de haute montagne ou saisonnier dans un refuge d’altitude.

"Mahmoud ou la montée des eaux" Antoine Wauters - Verdier éd.

Syrie. Un vieil homme rame à bord d'une barque, seul au milieu d'une immense étendue d'eau. En dessous de lui, sa maison d'enfance, engloutie par le lac el-Assad, né de la construction du barrage de Tabqa, en 1973. Fermant les yeux sur la guerre qui gronde, muni d'un masque et d'un tuba, il plonge – et c'est sa vie entière qu'il revoit, ses enfants au temps où ils n'étaient pas encore partis se battre, Sarah, sa femme folle amoureuse de poésie russe Maïakovski, Akhmatova, la prison, son premier amour, sa soif de liberté. Cette plongée métaphorique dans son passé, ravive les souvenirs de son enfance, l'histoire de son pays meurtri et dévasté par la dynastie Assad, père et fils. Les espoirs vite réprimés par le régime du boucher de Damas, "l'ophtalmologue aux yeux fous de requin". Les trois enfants de Mahmoud Elmachi ont rejoint les rangs des premières  contestations pacifiques, avant qu'elle se transforment en rébellion armée suite à la répression brutale du régime. Mahmoud n'a pas de nouvelles depuis longtemps, lui même a connu la prison pour des écrits qui ne convenaient pas aux attentes du régime. Il erre au bord du lac, tel un fantôme désespéré de se retrouver encore là parmi quelques survivants. C'est un texte absolument magnifique, d'une délicatesse infini pour dire l'indicible. C'est  un long poème en prose qui épouse l'histoire intime d'un homme et celle de son pays. Des annotations en fin de livre permettent de préciser la chronologie de certains événements.

  

"Ce qu'il faut de nuit" Laurent Petitmangin - éd La manufacture de livres

C'est l'histoire d'un père qui élève seul ses deux fils. Les années passent, et les enfants grandissent. Ils choisissent ce qui a de l'importance à leurs yeux, ceux qu'ils sont en train de devenir. Ils agissent comme des hommes. Et pourtant, ce ne sont encore que des gosses. C'est une histoire de famille et de convictions, de choix et de sentiments ébranlés, une plongée dans le cœur de trois hommes. Laurent Petitmangin, dans ce premier roman fulgurant, dénoue avec une sensibilité et une finesse infinies le fil des destinées d'hommes en devenir.

 

 

 

 

 

 

 

 

Prochainement

 

Jeudi 25 avril 

 leconvoi

Rencontre avec Beata Umubyeyi Mairesse

Le 18 juin 1994, quelques semaines avant la fin du génocide des Tutsi au Rwanda, Beata Umubyeyi Mairesse, alors adolescente, a eu la vie sauve grâce à un convoi humanitaire suisse.Treize ans après, elle entre en contact avec l'équipe de la BBC qui a filmé et photographié ce convoi. Commence alors une enquête acharnée (entre le Rwanda, le Royaume-Uni, la Suisse, la France, l'Italie et l'Afrique du Sud) pour recomposer les événements auprès des témoins encore vivants : rescapés, humanitaires, journalistes. Nourri de réflexions sur l'acte de témoigner et la valeur des traces, "Le convoi" offre une contribution essentielle à la réappropriation et à la transmission de cette mémoire collective.

Lieu : 19h, Bibliothèque Benoîte Groult. Réservation conseillée

 

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