En 5 romans Paul Lynch, écrivain irlandais, s’est imposé comme une grande voix de l’expression du désarroi humain face à un monde qui se défait. « Le chant du prophète » Booker Price 2023 raconte une Irlande qui sombre dans le fascisme.
L’auteur peint de manière très précise la manière dont cette mécanique implacable se met en place, il décrit au quotidien ses répercussions sur une famille dublinoise de la classe moyenne. Eilish Stack mère de quatre enfants prend conscience que le monde bascule quand son mari, enseignant syndicaliste, disparaît lors d’une manifestation. Comment agir quand l’action de l’état glisse dans l’autoritarisme et l’arbitraire ? Se battre ou partir ? Une fable saisissante qui fait sciemment écho aux tragédies du monde actuel. Récit conçu comme une odyssée et construite en 9 chapitres comme les 9 cercles de l’enfer de Dante. L’ombre, symbole de la perte de la lumière comme de la menace qui plane, envahit le récit. Elle devient la métaphore de l’aveuglement pour qui n’a pas su voir venir à temps le danger du totalitariste.
Ce n’est pas une dystopie car Paul Lynch affirme parler ici de notre présent.
ce livre s’inspire de l’histoire vraie d’une nonne Anglaise, Joan de Leeds, qui simula sa mort pour s’évader du couvent en 1318. « On ne quitte pas l’abbaye. Le seul moyen de la quitter, pour une moniale, est de mourir. Il faut rendre l’âme exhaler son dernier soupir puis restituer son corps à la terre » .
Joan Leeds fait le pari fou de s’évader de l’abbaye bénédictine où elles est cloîtrée depuis l’enfance. Puisque seule la mort peut défaire une moniale de son serment, elle simulera la sienne pour déjouer la vigilance de ses supérieures.
L’auteur semble avoir collé au plus près des informations historiques dont on dispose aujourd’hui pour recréer de toute pièce ce personnage féminin qui devient l’héroïne de ce roman qui paraît alors si réelle et si moderne. Une épopée passionnante et un personnage riche et attachant.
Le père du narrateur a disparu sans laisser de trace il y a 20 ans, le laissant dans une sorte de flou et de chagrin sans fond. Le narrateur est père d’un petit garçon Ellioth qui a 4 ans, il vit aux Etats unis et est écrivain à succès et pour l’heure il a posé sa plume et s’occupe à plein temps de son fils. Cette relation fusionnelle passionnée parfois l’inquiète car elle nourrit toute sorte d’angoisses qu’il craint transmettre à son son enfant. Lors d’une visite dans une serre tropicale, il a un malaise sans doute lié à la peur irrépressible de voir son fils disparaître comme son père a disparu. Il sort de son malaise en entendant la voix d’un jeune homme qui se penche sur lui et qui a absolument la même voix que son père. Le narrateur n’aura de cesse d’approcher ce jeune homme pour réentendre cette voix perdue, et peut-être imaginer que cet être est porteur d’un message, que les vies se croisent, s’incarnent et qu'il est toujours possible de retrouver qu’elle qu’en soit la forme des personnes disparues.
Récit particulièrement poignant qui parle d’un amour si profond qu’il en est presque insupportable, le récit devient parfois fantastique quand l’auteur décide de s’aventurer dans le domaine des signes et des apparitions mais il est aussi très drôle car bien évidemment il ne faut pas prendre tout cela au sérieux même si on peut toujours espérer la réapparition de l’être perdu.
Nous sommes au Havre dans les années 80, Anna la narratrice y vit avec sa sœur aînée Irène et sa mère Maud. Leur beau-père Jacques y débarque de temps en temps mais sa vie professionnelle se déroule à Abidjan en côte d’Ivoire où il possède une entreprise de location de machines et véhicules de travaux. C’est un homme malade et il n’est pas fait mystère de sa fin tragique au début du récit. Anna regarde cet homme fantasque, solaire, imprévisible, très aimant et parfois très inquiétant qui a colonisé leur vie. Quand il débarque au Havre pour Noël Jacques achète chez un antiquaire toute une série de meubles dont un appelé « Bonheur du jour » et un piano à queue alors que personne ne fait de la musique au sein de cette famille. Le chèque est en bois et la mère des filles tentera de rendre le mobilier sans succès. On comprend dès les premières pages que Jacques est une sorte de flambeur sympathique qui danse sur un volcan et entraîne toute la maisonnée dans sa folie des grandeurs. Il promet la reprise de ses affaires en côte d’Ivoire mais part sans laisser de nouvelles ou au contraire parce qu’il veut faire famille et qu’il aime profondément sa nouvelle famille, il réaménage complètement sa maison à Abidjan dans l’espoir de l’installation de sa femme et de ses belle-filles. Homme de la démesure, perdant attachant, Anna la narratrice tente de raconter sa vie avec Jacques sans jamais le juger, aimantée par ce personnage hors norme dont elle se méfie mais qu’elle ne peut abandonner. Et on le devine, elle restera marquée à vie par le passage dans la sienne de ce personnage de perdant magnifique.
Vanessa Springora écrivait dans les premières pages de son livre « Le consentement » : « les pères sont pour les filles des remparts, le mien n’est que courant d’air ».
Patrick Sprigora est mort quelques jours après la sortie du livre de sa fille « Le consentement », il est mort dans une solitude extrême, sa fille n’avait plus de contact avec lui depuis 10 ans. Il vivait dans l’appartement de ses parents décédés, dans un dénuement effroyable. Vanessa Springora garde de lui le souvenir d’un homme mythomane, misanthrope, fuyant et d’une extrême toxicité.
C’est en vidant l’appartement où est mort son père que Vanessa Springora tombe sur deux photos de son grand-père paternel Joseph. Il a été pour elle enfant un père de substitution. Il porte sur ces deux photos, qui semblaient pieusement conservés à l’abri des regard, des insignes nazis. Cette découverte est véritablement un séisme pour l’autrice qui connaissait une version toute différente de l’histoire de ce grand-père, né dans les Sudètes en Moravie (Tchéchoslovaquie) et qui selon la légende familiale avait fuit son pays pour échapper à l’enrôlement militaire. Vanessa Springora va traquer sans relâche, avec le peu d’informations dont elle dispose au début de l’enquête, cet homme de la fin de 1930 à son arrivée en France en 1944. A t’il été un rouage dans la machine de mort des allemands ? A t’il été la victime d’une époque ?Josef Springer deviendra Joseph Springora en arrivant en France, ses descendants seront voués à porter un nom qui n’est pas le leur. Ce livre est une enquête passionnante sur l’histoire d’une famille. Elle permet de comprendre un peu mieux la complexité de ces territoires qui passent d’une gouvernance à une autre, d’une langue à une autre, toujours spoliés par les stratégies guerrières et géopolitiques des empires.
« Patronyme », le nom qui nous définit et nous identifie. Qui est-on quand il n’est pas le bon et s’avère faux ? Quel rapport à la réalité entretenir dans ces conditions ? Ce grand flou, cette usurpation d’identité, ce mensonge initial sur l’histoire racontée en préfigurera d’autres qui se prolongeront et plongeront le père et ensuite la fille dans des tourments abyssaux.
Une jeune fille semble perdue au cœur de la forêt la plus obscure.
Nous sommes au XVIIe siècle, dans un territoire qui deviendra les États-Unis. Elle vient de s’échapper, elle court loin de la servitude et des brimades. Maintenant, il faut survivre.
Dans ce conte sauvage, une fille sans avenir s’affirme en désobéissant, pour devenir au gré des épreuves une véritable héroïne.
Les terres indomptées est un grand roman d’aventures, haletant, lyrique, porté par une écriture en état de grâce.
Au moment où s'ouvre ce livre, la narratrice rompt la promesse qu'elle a faite, dix ans plus tôt à l'homme qu'elle vient de rencontrer : ne pas écrire sur lui. Mais dix ans plus tard, éreintée par cette relation qui s'est avérée toxique au plus haut point et qui l'a conduite devant les tribunaux, Claire Lancel recherche désormais dans l'écriture la vérité sur cet homme et sur leur histoire. C'est par l'écriture qu'elle va réussir à épuiser l'histoire qu'elle ressasse sans arriver à sortir de ses fantasmes, de ses rêves et du déni qui lui a permis d'ignorer la vérité sur l'homme qu'elle avait choisi. Dans ce roman haletant comme un thriller, Camille Laurens questionne le narcissisme contemporain, l'absence d'empathie, et se demande comment sauver l'amour de ses illusions.
C’est une Fresque narrative qui explore la vie de Jack et Elisabeth, deux êtres qui n’avaient rien en commun mais que le destin va rapprocher. Lui est issu d’une famille de fermiers de l’Arkansas, elle d’une riche famille de self made men aux probables accointances avec le klu Klux Klan. Familles qu’ils ont l’un et l’autre fuies. Ils se rencontrent lors de leurs études à Chicago, rencontre devenue le récit mythologique de leur coup de foudre. Mais qu’en est - il 20 ans après, que reste t’il de cet amour fondateur alors qu’ils s’apprêtent à devenir propriétaire d’une appartement et qu’ils sont parents d’un garçon de 8 ans ? Récit alternant présent et passé, l’auteur dresse le portrait d’une Amérique contemporaine, mêlant humour et critique sociale.
Celles et ceux qui ont lu "Brooklyn" paru en 2009 connaissent déjà Eilis Lacey, elle avait quitté l’Irlande dans les années 50 et avait rejoint la grande communauté des expatriés de New York. Elle était devenue Eilis Fiorello en épousant Toni Fiorello il y a 25 ans, plombier d’origine italienne, ils sont parents de deux grands enfants. Ils vivent dans la banlieue de NY. Eilis étouffe un peu au sein de la grande famille envahissante de Toni, et quand elle apprend que ce dernier a eu un enfant hors mariage elle décide de prendre ses distances et de partir passer quelques mois à Enniscorthy, petite ville irlandaise dont elle est originaire pour revoir sa mère qui fête ses 80 ans et qu’elle n’a pas revue depuis 20 ans, ses amies d’enfance et un amour de jeunesse. Le titre du livre est trompeur car la plus grande partie de la narration se déroule en Irlande et non à Brooklyn (Long Island). Un autre piège se referme sur elle dans cette communauté apparemment bienveillante mais qui se comporte de façon assez indiscrète et pas aussi aimante qu’elle l’imaginait. Elle vit l’épreuve du double exil, et de la solitude parmi les siens. Colm Toibin manie avec subtilité et délicatesse tous ces signes et manifestations qui l’excluent.
Le jeune K est un garçon américain qui vit avec ses deux grands frères et ses parents dans la vallée de San Fernando en Californie. Les parents sont nés en Iran, les enfants aux Etats unis et portent des prénoms américains sauf K le narrateur le plus jeune de la fratrie. Le rêve de K et de ses frères est d’être un vrai américain, de jouer au basket, de traîner avec les gosses du quartier mais tout s’arrête quand leur père décide de retourner en Iran avec ses trois fils sans en informer leur mère. Ils se retrouvent dans la maison du grand-père à Ispahan, ne parlent pas le persan et ignorent tout de ce pays. La mère réussit avec l’aide de sa sœur et son beau-père à les ramener aux USA mais l’ombre des attentats du 11 septembre n’est pas loin et la place qui était la leur dans ce pays ne sera plus la même. Un premier roman sobre et sensible, doux-amer aussi sur la fin de l’enfance et la recherche de soi.
Nous sommes à Berkeley en 1973 au département de dynamique des systèmes. Quatre jeunes chercheurs mettent les dernières touches au rapport qui va changer leur vie. Les résultats de l'IBM 360, sont sans appel : si la croissance industrielle et démographique ne ralentit pas, le monde tel qu'on le connaît s'effondrera au cours du XXIe siècle. Le rapport est publié et devient un best seller. Il n’est hélas suivi d’aucun effet. Le rapport 21 s’inspire du rapport Meadows publié en 1972 .
Le roman s’intéresse ensuite au positionnement des 4 chercheurs. Au sein de l'équipe, chacun réagit selon son tempérament ; le couple d'Américains, Mildred et Eugene Dundee, décide de monter sur le ring pour alerter l'opinion ; le Français Paul Quérillot songe à sa carrière et rêve de vivre vite ; et l'énigmatique Johannes Gudsonn, le Norvégien, surdoué des maths disparaît des radars.
De la tiède insouciance des seventies à la gueule de bois des années 2020, Cabane est le récit d'une traque, et la satire féroce d'une humanité qui danse au bord de l'abîme.