"Sur la route du Danube" Emmanuel Ruben - éd Rivages

A l'été 2016, E. Ruben entreprend avec un ami une traversée de l'Europe à vélo. En quarante-huit jours, ils remonteront le cours du Danube depuis le delta jusqu'aux sources, et parcourront 4000km, entre Odessa et Strasbourg. Ce livre-fleuve est né de cette odyssée à travers les steppes ukrainiennes, les vestiges de la Roumanie de Ceausescu, les nuits de bivouac sur les rives bulgares... et les frontières hongroises hérissées de barbelés. En choisissant de suivre le fleuve à contre-courant, dans le sens des migrations, c'est l'histoire complexe d'une Europe  qui se referment et où affleurent les portraits poignants des hommes et des femmes croisés sur la route, c'est le tableau vivant d'une Europe contemporaine. Dans ce récit d'arpentage, E. Ruben continue sa " suite européenne" initiée avec " La ligne des glaces" et explore la géographie du vieux continent pour mieux révéler les fictions qui nous constituent.

 

"La femme aux cheveux roux" Orhan Pamuk - éd Gallimard

Un roman qui entremêle plusieurs genres littéraires : le récit d'apprentissage, la fresque historique et politique, le polar et la tragédie antique. Ce grand roman s'articule autour des deux contes mythologiques « Oedipe roi » et « Sohrâb et Rostam ». Dans les années 80, le jeune Cem vit dans le quartier de Besiktas à Istanbul où son père tient une pharmacie. L'été de ses 16 ans, son père disparaît sans laisser un mot, enlèvement,séquestration ou relation adultère ? Cem se fait engager comme manœuvre, par un maître puisatier pour payer ses cours, sur un chantier à une trentaine de kms de la ville. Le jeune citadin découvre la vie d'apprenti puisatier auprès d'un maître renommé qui le prend sous sa coupe et le forme comme son propre fils. Cet été 1985 marquera à jamais la vie du jeune Cem, le regard exigeant et bienveillant de ce maître l'éveille à une autre conscience de lui même. Il croise aussi le regard de la femme aux cheveux roux qui l'aimante immédiatement et auprès de laquelle il découvrira ses premiers émois amoureux. Cet été aurait pu être le plus heureux de sa vie, si un accident sur le chantier n'était venu perturber la suite de la vie de Cem. Ce grand roman, se déploie sur une trentaine d'années en prenant le temps et en entremêlant d'innombrables sujets qui racontent à la fois la vie d'un jeune homme qui devient adulte, l'expansion démesurée d'une ville qui se modernise et d'un pouvoir oppressant qui contraint les esprits. Cem incarne l'âme de sa ville, déroule le mouvement implacable de ces décennies de changements politique et économique et rappelle qu'il existait encore dans les années 80 un théâtre politique, des femmes aux cheveux roux défaits et des puisatiers qui allaient chercher l'eau à la pioche, à plus de 25 m de profondeur. Pour oublier le resserrement des libertés individuelles, certains se sont lancés, comme Cem dans les affaires. Architecte cultivé, il profite de sa nouvelle aisance financière pour visiter les musées lors de ses voyages et s'intéresse de manière obsessionnelle aux représentations picturales d'Oedipe, essayant vainement de trouver un sens à son histoire personnelle. On peut se demander comme Cem pourquoi, malgré les progrès de nos civilisations, il nous faut encore aller interroger les mythes fondateurs pour comprendre nos actes les plus déroutants. 

 

"Pas dupe" Yves Ravey - éd de Minuit

Un roman délicieusement retors en forme de polar. Un grand cru signé Yves Ravey, qui choisit, une fois n’est pas coutume, de sortir du cadre géographique hexagonal pour planter son intrigue sur la côte ouest américaine. La voiture de Tipi Meyer a percuté, à vive allure, la barrière de sécurité d'une route très dangereuse et s'est écrasée dans un ravin. Au petit matin, mais sous un soleil déjà bien plombant, le mari, l'amant et le père de Tipi scrutent l'épave. Tout le monde s'observe et le lecteur regarde l'inspecteur Costa naviguer de l'un à l'autre. Accident de la route ou accident criminel, personne ne sera dupe et l'inspecteur, fin limier, tenace et méticuleux, ne lâchera pas l'affaire. On retrouve dans ce nouvel opus cette mécanique infernale où le coupable pourrait être n'importe quel personnage. Un roman un brin décalé, très inspiré par le cinéma, ses décors, ses plans et sa plastique. 

"Olga" Bernhard Schlink - éd Gallimard

L'est de l'empire allemand fin XIXème siècle. Olga grandit dans une famille modeste, elle rêve de devenir enseignante. Herbert est le fils d'un riche industriel. Amis d'enfance, Olga et Herbert deviendront amants sans jamais pouvoir envisager une union. Ce récit raconte l'histoire de l'amour d'une vie. Olga sera institutrice, une réussite notable compte tenu de ses origines sociales, Herbert se lancera dans les guerres coloniales et les expéditions polaires dont il ne reviendra pas. Olga incarne la femme indépendante, résolue à construire son destin dans une société patriarcale qui ne lui donne pas beaucoup de place mais son intelligence et sa détermination lui permettent d'évoluer dans cette société fermée. Herbert incarne l'homme de l'Allemagne coloniale conquérante, l'Allemagne de Bismark, il ne tient pas en place et souhaite lier son destin à celui de son pays. L'originalité de ce récit, outre sa teneur historique, tient à sa construction. En première partie, c'est un narrateur anonyme qui s'empare du récit de la vie d'Olga jusqu'à ses 50 ans. C'est ensuite un homme qui a connu Olga quand il était enfant qui nous donne accès à ses confidences. En troisième partie, ce sont les lettres qu'Olga adressaient à Herbert et qui se retrouvent entre les mains d'un collectionneur, qui vont éclairer subtilement ce que furent pour elle l'absence et la perte de son premier et dernier amour. Un roman sur la permanence et la complexité des sentiments d'une femme qui ne cesse d'interroger la furie des hommes et l'histoire en marche.

"La plus précieuse des marchandises" Jean-Claude Grumberg - éd du Seuil

C'est un conte qui commence comme tous les contes par « il était une fois... dans un grand bois une pauvre bûcheronne et un pauvre bûcheron. Dans ce grand bois régnaient grande faim et grand froid.... » Ce couple de bûcherons vit à proximité d'une voie ferrée où passent chaque jour des convois de wagons de marchandises. De nombreux papiers griffonnés à la hâte jonchent les abords de la voie ferrée, mais le bûcheron et la bûcheronne ne savent pas lire. La bûcheronne n'a pas eu d'enfants, elle s'en désole, mais un jour, par miracle, tombe du train un paquet : c'est un enfant enveloppé dans un châle brodé d'or, un châle de prière. Paris février 1943, un jeune couple est arrêté avec leurs deux très jeunes enfants et transférés à Drancy. Quelques semaines plus tard, ils sont embarqués dans un wagon plombé, le lait de la mère se tarit, le père décide de sacrifier ou de donner une chance de survie à l'un de ses deux enfants : il enveloppe l'un de ses jumeaux dans un châle de prière et le jette hors du train. Ce conte, long de 103 pages, raconte l'histoire de la Shoa. Jean-Claude Grumberg reprend la structure narrative du conte classique qui mêle espoir et désespoir à la cruauté la plus abominable où rien d'inhumain n'est épargné. Il convoque l'horreur, le froid, la faim, la peur.... en reprenant le récit le plus simple qui soit pour redire l'abominable : le conte. Un absolu chef d'oeuvre à lire et transmettre.

"Alto Braco" Vanessa Bamberger - éd Liana Levi

Alto Braco signifie en occitan « haut lieu », c'est ainsi que l'on appelait le plateau de l'Aubrac. Brune  a grandi au dessus du Catulle, le café parisien où officiaient les soeurs Douce et Granita Rigal, ses grands-mères adoptives, originaires de l'Aveyron, qui l'ont élevée après la mort de sa mère. Juste avant de mourir, Douce confie à Brune son désir d'être inhumée dans son Aubrac natal. Accompagnée de Granita, elle découvre alors cette terre rude et les secrets de la famille Rigal. Un roman qui questionne la transmission, les origines et l'appartenance à une terre. Brune ne croit ni aux gènes, ni aux racines. Elle est née parisienne, élevée par deux femmes très émancipées qui n'ont jamais vécu dans la nostalgie du pays natal. Malgré cette distance avec l'histoire et la géographie, Brune va progressivement découvrir ce qui la rattache à cette terre rugueuse et inhospitalière. L'expérience de ce retour aux origines l'amène à s'interroger sur le fait que malgré elle, ce pays pourrait lui avoir été transmis dans ses gènes. Passionnante saga familiale où émergent, à la fois l'histoire bien gardée d'une famille et celle d'un territoire bien vivant qui se distingue par un savant compromis entre modernité et tradition. Ce récit aborde une multitudes de sujets qui apportent une connaissance approfondie d'une terre et d'une communauté.

"De si bons amis" Joyce Maynard - éd P. Rey

Enfant, Helen Mc Cabe s’inventait des vies imaginaires d’orpheline ou de petite-fille d’Audrey Hepburn pour épater ses camarades et meubler une enfance sans attentions ni affection. A 40 ans, solitaire après un bref mariage, arrêtée pour conduite en état d’ivresse et privée de la garde de Oliver, son fils de huit ans, elle va d’abord trouver tout à fait normal le train de vie dispendieux, les extravagances et les mensonges d’Ava et Swift Havilland qui l’adoptent et l’encensent, elle puis son fils, comme des êtres remarquables et uniques. Joyce Maynard excelle à construire des personnages humains et complexes, faits d’ombre et de lumière auxquels le lecteur n’a pas de mal à s’attacher, qu’ils occupent un rôle principal ou un rôle de second plan pour l’intrigue, comme Dwight, l’ex-mari de Helen ou surtout Elliot, son nouveau compagnon qu’Ava et Swift vont tout de suite ressentir comme dangereux pour leur influence. Au terme d’une montée en puissance du récit dont la romancière détient le secret, le conte de fées tourne au polar quand Oliver est désigné comme coupable d’un accident de hors-bord à la place de Cooper, le brillant fils de la maison. Helen, mère fragile et vulnérable, va devoir s’affronter à ses anciens protecteurs. MD

"Antonia" Gabriella Zalapi - éd Zoé

C'est un petit livre fin, de couleur crème, très élégant. En couverture une photo en noir et blanc, celle d'une jeune femme assoupie à l'arrière d'une voiture. Un cliché qui suggère un doux moment d'abandon mais qui ne tardera pas à être contredit par les premières lignes de ce journal. Nous sommes dans les années 60, en Sicile, et Antonia est bien mal mariée. Sa vie s'étire dans l'ennui des jours qui défilent, entre un jeune fils qu'elle n'arrive pas à aimer et un mari qui la rebute. Drame de l'intime qui interroge les capacités de l'héroïne à trouver le chemin de son émancipation. Sujet souvent traité en littérature sauf que ce récit n'est pas tout à fait comme les autres, agrémenté de photos de famille, il annonce ce qui n'est pas. Car il ne s'agit pas d'un vrai journal exhumé d'une vielle mâle en osier. Celle qui se raconte à la première personne, n'existe que dans l'imagination de l'auteure qui mêle vraisemblance biographique et fiction pour amplifier la force du récit. Une forme qui renforce la proximité du lecteur avec ce personnage très attachant.

 

"Nino dans la nuit" Capucine et Simon Johannin - éd Allia

Abandonnez toute affaire cessante, mettez de côté les livres que vous lisiez pour vous précipiter sur ce texte exceptionnel. Opéra urbain d'une sidérante beauté qui raconte la vie chaotique de deux très jeunes gens qui vivent à la marge dans un squat, dans une cité périphérique. Ils cumulent les petits boulots sous payés et cherchent l'oubli dans les bruits de la fête, les trafics, les alcools forts et les drogues. Jours difficiles, souvent incertains, que seules éclairent les mots, que Nino enfile comme des perles noires et incandescentes. Nino met en mots, comme d'autres mettraient en musique, cette vie où l'espoir d'une existence meilleure résiste et tarde à se manifester. Et c'est avec les mots, les rythmes, les images qu'il transforme la peur, le précaire, l'indésirable en un sublime poème qu'il adresse à sa compagne. Un texte d'une intense beauté portée par une langue qui s'invente à chaque page.

 

"Route 62" Ivy Pochoda - éd Liana Levi

Le récit s’ouvre par une scène inaugurale inoubliable, une apparition quasi-divine, un éblouissement qui saisit les automobilistes bloqués dans les embouteillages matinaux de Los Angeles : un jeune homme blond athlétique et complètement nu, court sur l’autoroute à contre-courant des voitures. Poussé par une force irrépressible, Tony, avocat de la middle class aisée, quitte sa voiture pour le suivre. A partir de cette image, l’auteure nous propose un long flash-back qui suit différents parcours, lesquels finiront tous par croiser la route du coureur nu et de Tony, du côté sombre de la cité des anges, dans le quartier de Skid Row. Il y a Ren, tout juste sorti d’une prison pour mineurs de la côté est et qui débarque à LA pour retrouver sa mère, devenue SDF. Britt, étudiante en fugue se retrouve dans un ranch communautaire en plein désert, dirigé par un couple de gourou qui accueille de jeunes paumés en quête de sens qu’ils soumettent à des séances d’humiliations collectives. Et enfin Blake et Sam, duo meurtrier qui feront tout voler en éclat. Des grands espaces sauvages du désert des Mojaves aux rues crasseuses du centre de Los Angeles, ce roman choral déroule les destins tragiques et singuliers de personnages en rupture. Récit exceptionnel qui prend des allures de grand opéra urbain, tendu et magistralement orchestré. Impossible de lâcher ces personnages qui se révèlent aux cours des chapitres et nous tiennent en haleine jusqu’au bout du récit. Eblouissant.

"Un monde à portée de main" Maylis de Kerangal - éd Verticales

Roman de formation qui raconte l’apprentissage de Paula, jeune parisienne qui part étudier l’art du trompe l’œil à Bruxelles. Paula embarque le lecteur dans la découverte exigeante de cette discipline qui ne consiste pas, comme on pourrait le penser, à copier la matière (marbre, bois, écaille de tortue…) mais présuppose d’être en mesure de savoir incorporer les éléments qui la composent dans la nature, les imaginer, les ressentir, pour les restituer au plus près de leur réalité. Cet art demande de l’endurance, de la curiosité et une remise en cause permanente. Son année d’apprentissage passée, Paula va multiplier les expériences professionnelles, les rénovations de maisons luxueuses, les décors de films, et passer plusieurs mois sur le tournage du film « Habemus Papam » de Nino Moretti à Cinecita. Cet itinéraire, riche en apprentissages multiples, la conduit aux origines de la création artistique : l’art pariétal, quand elle se retrouve engagée sur le chantier de la quatrième réplique de la grotte de Lascaux. Elle va apprendre là les gestes ancestraux avec lesquels les hommes ont dessiné leur univers il y a 18 000 ans. Comme dans « Naissance d’un pont » et « Réparer les vivants » Maylis de Kerangal parle métier, gestes, matériaux et nous éclaire sur le mystère de la création en cherchant à questionner l’art de l’illusion, de la mise en scène qu’elle pratique, avec talent, dans son métier d’écrivain.

Prochainement

Mercredi 28 février 

manouchian

Missak et Mélinée Manouchian, deux étrangers, arméniens et communistes, entrent au Panthéon le 21 février 2024. La valeur symbolique de cet événement est majeure. Deux orphelins du génocide des Arméniens devenus héros de la Résistance française. Denis Peschanski, historien et co-auteur du livre retracera avec vous ce parcours documentaire nourri d’archives dont de nombreux inédits.

Lieu : 19h, Bibliothèque Benoîte Groult. Réservation conseillée

Mardi 12 mars 

Droits des femmes. Où en sommes-nous ?

tortureblanche

Une table ronde pour débattre et échanger avec Sophia Aram, Laure Daussy et Iris Farkhondeh. "Femmes, Vie, Liberté" sera l’étendard de cette soirée consacrée aux femmes et à leurs droits dans le monde. "Torture blanche" de Narges Mohammadi, prix nobel de la paix 2023, parait le 6 mars.

Lieu : 19h, Bibliothèque Benoîte Groult. Réservation conseillée

Jeudi 25 avril 

 leconvoi

Rencontre avec Beata Umubyeyi Mairesse

Le 18 juin 1994, quelques semaines avant la fin du génocide des Tutsi au Rwanda, Beata Umubyeyi Mairesse, alors adolescente, a eu la vie sauve grâce à un convoi humanitaire suisse.Treize ans après, elle entre en contact avec l'équipe de la BBC qui a filmé et photographié ce convoi. Commence alors une enquête acharnée (entre le Rwanda, le Royaume-Uni, la Suisse, la France, l'Italie et l'Afrique du Sud) pour recomposer les événements auprès des témoins encore vivants : rescapés, humanitaires, journalistes. Nourri de réflexions sur l'acte de témoigner et la valeur des traces, "Le convoi" offre une contribution essentielle à la réappropriation et à la transmission de cette mémoire collective.

Lieu : 19h, Bibliothèque Benoîte Groult. Réservation conseillée

 

Lire la suite...

Connexion