« Une fille », enfant elle grandit entre sa mère et sa grand-mère, entre désordre et mélancolie, dans un véritable capharnaüm : « le monde dingue, le monde enfermé de la maison des femmes ». Quand surgit le père, un Don Juan anarchiste et flambeur, tout est possible et complètement terrifiant. Elle sait du haut ses treize ans, ce qui plaira ou déplaira à son père et elle s'évertue à lui faire honneur. Il l'attend certains soirs dans la rue, au volant d'une voiture de sport, et l'emmène rue Saint-Séverin, dans une boite qu'il a achetée « La grande Séverine ». Ce père se nomme Maurice Girodias, il est le fondateur des éditions du Chêne (1941) et des éditions Olympia Press (1955). Il a publié Lolita de Vladimir Nabokov, les oeuvres de Henry Miller, Samuel Beckett, Georges Bataille, Jean Genet, et des romans pornographiques qui lui ont valu plusieurs procès. Pour certains, il représente un héros de la lutte contre la censure, pour d'autres, un aventurier sans scrupules.
Ce père incarne le mystère, la fuite, le mensonge. L'histoire de la famille, que l'auteur décripte au fil des années, lui révèle que Maurice Girodias né Kahane d'un père juif, avait renié ses origines et pris le nom maternelle Girodias afin de ne pas être inquiété durant l'occupation. Juliette découvre par hasard cette ancienne identité et remarque aussi que figurent au catalogue des éditions du Chêne un livre antisémite et les romans d'un auteur très proche du gouvernement de Vichy. Ces découvertes se font dans le silence, elles n'appellent aucun commentaire de la part de la famille qui ne souhaite pas expliquer ces choix.
L'adolescente comprend qu'elle ne peut guère compter que sur elle-même pour avancer dans la vie avec ce passé familial. Elle entreprend à 17 ans un voyage aux Etats-Unis, la traversée de la Californie, qui se transforme en un véritable parcours initiatique. A son retour en France, Mai 68 éclate, Juliette devenue femme se révolte, milite, et se jette dans la vie en se rapprochant des mouvements révolutionnaires qui agitent la France à cette époque. Juliette Kahane décrit avec beaucoup de sensibilité comment elle a affronté ces révélations malgré les silences, la honte et le mensonge. Elle fait de ce père, qui fut longtemps pour elle un douloureux mystère, un magnifique portrait. Elle témoignage aussi sur une époque en plein bouleversement politique et social qu'elle dépeint avec beaucoup d'humour.