C'est au fin fond de la contrée d'Atôra que Matabei se retire pour échapper à la fureur du monde. Dans cet endroit perdu entre montagnes et Pacifique, il prend pension dans une auberge tenue par une femme et il apprend peu à peu à connaître ses habitués, tous singuliers et fantasques. Attenant à l'auberge se déploie un jardin hors du temps. Le nouvel arrivant s'attache au vieux jardinier qui consacre sa vie au déploiement de cet espace végétal. Il découvre en lui un extraordinaire peintre d'éventails et décide de devenir son disciple. C'est un magnifique roman initiatique qui laisse le lecteur médusé par tant de beauté. Le plaisir de lecture est immense et rare.
Ce roman absolument fascinant nous confronte aux valeurs d'une civilisation où le raffinement résiste à la précarité d'une terre construite sur un espace restreint sans cesse menacée par les cyclones, les ras de marées et désormais les explosions nucléaires. Hubert Haddad tente, dans ce récit exceptionnel, de nous faire saisir la substance de l'âme nippone qui semble se nourrir de la beauté de cette nature précaire et qu'elle reproduit inlassablement dans l'art de ses jardins et de sa peinture avec grâce et obstination. C'est le regard plein de douceur que l'on porte sur une fragilité suspendue à la menace de la destruction. Ce havre de paix, dans lequel Matabei ce citadin fourbu s'était réfugié pour renouer avec la tradition et la sauvegarde des savoirs, ne résistera pas à la destruction. Mais malgré toutes les scènes qui décrivent avec réalisme l'anéantissement de la nature, la mort des hommes et des animaux, on sent que la force et la poésie de cette île reviendra et sera plus forte que le désastre parce que les représentants de ces traditions portent une permanence qui semble indestructible.