"La fête de l'insignifiance » Milan Kundera – éd Gallimard
Milan Kundera n'avait pas publié depuis 2003. Ce magistral récit condense, en 140 pages, toute l'essence de la pensée de ce très grand écrivain. Il reprend ici ses thèmes de prédilection en les traitant avec une fantaisie extravagante. Si nous devions résumer en une seule phrase ce dernier texte, nous pourrions citer l'un des quatre personnages : « l'insignifiance est l'essence de l'existence ». Kundera nous incite à aimer cette insignifiance parce qu'elle est partout, alors inutile de se prendre au sérieux. Il en fait ici la démonstration.
Ce récit tourne autour de quatre personnages unis par une longue amitié. Alain, que l'on rencontre dans les allées du jardin du Luxembourg, échafaude une théorie sur les nombrils découverts des jeunes filles et suggère que cette nouvelle mode sonne la fin de l'érotisation de la société. Ramon se rend lui aussi au jardin du Luxembourg pour tenter de voir l'exposition sur Chagall, il y renonce car cette foule morne le déroute. Charles truffe ses discussions d'anecdotes sur Staline : incongruité et anachronisme dans ce décor très parisien et très contemporain, mais Kundera nous ramène au coeur de la farce qu'il adore, et nous livre de plaisants morceaux sur l'art du rire à l'époque stalinienne, tout en suggérant que rien ne peut être pris au sérieux même dans le plus tragique. Caliban, acteur sans contrat, incarne lui aussi l'art de la comédie en inventant un faux langage pour brouiller les pistes et assurer sa tranquillité, Kundera nous embarque là dans une scène digne de la Comedia del Arte. Tous les quatre se retrouveront dans une fête sinistre où se disent des choses graves avec légèreté et où sévissent deux séducteurs mâles qui confrontent leur technique, l'un misant sur le charisme et l'autre sur l'insignifiance de son comportement pour aborder la femme convoitée. Ce roman est magistral car il mélange les registres, les univers, les temporalités et donne à lire toute la fantaisie dont Kundera est capable.