Pirouette littéraire de grande envergure, ce roman inclassable et déjà très remarqué, depuis sa sortie en juin, s'impose de toute sa force et son audace. Haroun est le frère de « l'Arabe » tué par Meursault dans « L'étranger » de A. Camus. Kamel Daoud, invente une suite à ce roman qui prit le parti d'ignorer l'identité de la victime abattue par Meursault. De ce meurtre qui servit amplement le propos de Camus ne demeure qu'un cadavre sans nom, abandonné sur une plage trop ensoleillée. K. Daoud imagine un avant et un après le décès de ce jeune algérien qu'il nomme Moussa, il lui invente une famille qui aura dû composer avec le destin tragique de ce héros. L'auteur nous plonge dans un vertige littéraire où des personnages de pure fiction s'incarnent de nouveau avec une dimension résolument humaine et contemporaine. Le sort réservé à « l'Arabe » par Camus, résumait la vision du monde colonial qui ne reconnaît pas les hommes de la terre conquise. Nous sommes dans une tragédie de l'absurde, un personnage de chair né d'une filiation avec un héros de fiction tente d'échapper à sa condition. Il devient comme le personnage de Camus, un homme qui n'arrive pas à se déterminer, qui ne réagit pas comme on le supposerait, et qui ressasse des années durant, une animosité silencieuse envers le destin qui s'est écrit pour lui, soixante dix ans auparavant.